de mémoire d’homme on n’avait jamais vu autant trembler les lustres
depuis des lustres pas vu effondrés au sol autant de bibelots cassés en mille morceaux et sur les carreaux des carrelages autant de traces écarlates
et pourtant on y rêvassait avant dans ces crevasses on y trouvait toute tout une vie de petits objets
on y écrivait là avant sur ce bureau et désormais y sont éparpillés tous les mots les livres ouverts en vrac et les stylos tous les objets refoulés en foutoire dégueulant d'un tiroir
lui même
tombé d'un meuble
lui-même
détaché d'un mur
lui-même
décroché d'un immeuble
blessé fracturé lui-même à cloche pied sur ses moignons de piliers et plié sur ses croix de fissures sures d’elles dans les murmures des pierres entre les fenêtres cassées on les entend peut-être encore crier
terremoto
terre tremblée terre transie terre en hypothermie au secours y a-t-il des blessés sous les pierres quoi ?
terremoto
sous les pierres qui ?
terremoto
des gens des objets des vies
hommes femmes enfants cafetières guéridons piano vaisselle tables en marbres
étouffés sous les souvenirs étouffés dans leurs soupirs les gens avec leurs draps et leurs radio-réveils
et les chiens où sont-ils les chiens errants de la piazza fontana les loups hurlants sous la lune de Rocca Calascio où sont-ils tous passés trépassés dans cette ville
elle-même terrassée
elle-même écroulée
elle-même tombée
sous ses propres murs et dans ses propres routes
elle même avalée par ses antiques voutes
effacée par la vie qui se greffe ailleurs
où est l’hôpital où est la préfecture où sont étudiants ? l'hopital est sur les malades le préfet sous la préfecture et les étudiants ne sont même plus la résidence les a ensevelis
où est ma fille où est mon frère où est mon amour où est
cet escalier millénaire cette cathédrale baroque cette tour du temps d’avant cette jolie fille que j’avais croisée dans les rues de cette ville de montagne sauriez-vous m’indiquer quand tout cela s’est passé ? quand ces trous et quand ces gouffres quand ces façades sanguinolentes quand ses plaies toujours béantes le tremblement le tremblement de terre quand ?
de mémoire d’homme on n’avait pas pleuré on n’avait pas trouvé autant de morts de blessés piégés
écrasés en mille morceaux de souvenirs par des charpentes et des plafonds
en vrac depuis des mois et des mois dans mon tiroir
terremoto
en vrac dans ma tête
terremoto
combien de mois est resté là en silence terrorisé
terremoto
ce moi choqué sidéré par ce bruit de train au lointain qui s’approche et qui déraille ce bruit de tremble terre qui soudain brise le lien
terremoto
l’inconscient sort seulement de dessous l’armoire de dessous les décombres restés là après cinq années de silence et de poussière l’onde seulement
maintenant m’atteint me saisit m’attrape me couche et m’accouche enfin j’accouche de l’idée même de l’onde et de son choc
du choc qui te souffle
même de loin
le jour où tu ne tiens plus rien dans tes mains
le jour où c’est le monde qui te tient dans ses mains
et qui fait de toi un petit objet dans un tiroir désordonné
une tasse en morceaux par terre n'importe quel bout cassé du passé
tu le vois enfin en face et tu es un enfant qui soudain sait et comprend
pourquoi tu trembles
pourquoi tout tremble
encore
terremoto