Les insectes sont des anges

Impossible de raconter ça en deux mots, t'imagines bien. En même temps, je ne sais pas si j'ai digéré suffisamment pour pouvoir écrire dessus, de manière claire et détaillée.

 

J'ai attendu dehors quelques heures avant de pouvoir entrer. 

Vendredi 24 octobre, portail du Jardin des Plantes. Il pleut un peu. En quelques minutes, la rue se remplit d'une foule humaine, qui se transforme en folie animale. Bousculade avant grand basculement. Cris. Râles. Pétages de plombs. Je souris pour me dire que je suis encore un être doué de conscience. Je ne veux pas pousser pour avoir ma place. Ni être repoussée en arrière par le flot et la perde. Je me laisse ballotter, comme un bovidé qui part à l'abattoir, hébétée. 

 

Le troupeau de ruminants se montre à la FIAC. C'est une foire, en effet. Une foire d'empoigne. Effarante de cruauté. Chacun est venu assister à la performance conférence. Conférence performance d'Alexandro. Chacun pour soi. Nous l'avons tous lu, il nous a tous touchés à un endroit de notre âme, nous avons tous voulu être là, pour le voir, l'entendre, le goûter en chair et en os. Lui. Jodorowsky. Sous couvert d'amour et d'intelligence, nous sommes venus le dévorer. Nous ne sommes pas mieux que ceux qui ne sont pas là et qui ignorent tout de lui. Nous sommes sûrement pires. Chacun pour soi.

 

Entrée électrique dans l'amphithéâtre. Le troupeau des gens gagne en densité intellectuelle, tous alignés en rangs d'oignon dans l'aula magna. Tous l'air inspiré, et faussement indifférents à la présence des autres. Groupes. Groupés. Groupies. Pourquoi suis-je toujours la seule à être seule? 

 

Il entre. Tout le monde applaudit. Le maitre fait face à la masse. Il sourit. Ils sourient. Enfin. 

 

Ce qui me revient en boucle de lui c’est cette phrase prononcée tout au début: "Les insectes sont des anges." Va savoir pourquoi... Il avait prononcé cette phrase, en passant, l'air de rien, au milieu d'un long discours sur tout autre chose, et je l'ai prise en pleine face, surement parce qu'à force d'avoir lu tout de lui, vu tout de lui, entendu tout de lui, il me fallait quelque chose d’absurde, d’incongru, pour me surprendre.

 

Tirages enchaînés. Qui veut que Jodo lui lise les cartes? Moi, moi, moi. Voilà un beau monde de moi moi moi. La main levée, le doigt tendu, pour être au centre de l'attention. Ils s'y jettent, s'entretueraient pour y être. Je retiens mes mains, je retiens des larmes à l'intérieur. Je ne veux pas qu'on voit mon émotion. 

 

En trois mots, Jodo retourne une âme, elle se renverse sur lui comme une crêpe sur une poêle à frire. Il la rattrape et nous la lance en pâture. Nous sommes témoins, puis complices. Nous pouvons la manger. Nous en délecter. Nous? Ca y est: nous sommes un seul et même corps. Peut-être par le festin de nos douleurs communes, nous devenons une seule et même conscience. Comédie du nous. Enfin...

 

Je comprends chacun de ses mots. Chacune de ses intonations. Chacun de ses sourires malicieux. Mais les autres me heurtent. Me brûlent. Me piquent. C'est plus fort que moi. Je ressens plus que tout l'acidité de la souffrance accumulée chez ces narcisses entassés. Ils m'intoxiquent d'égocentrisme, de mépris, de condescendance, de stupidité parfois, de médiocrité souvent. Comment s'en protège-t-il? Comment se prémunit-il de leur poison de l'à peu près, de ce goût amer des individualités agglomérées. 

 

Nous sommes des insectes autour d'un lampadaire. Comment pourrait-on être des anges? 

 

Quand je suis ressortie de là, de sa lumière, j’étais vidée, épuisée. Pourtant, cela m’a remplie. J'ai surtout mangé ma solitude, mon désespoir. 

 

Je suis redevenue moi. Moi au milieu du nous. Moi, ils y sont revenus aussi. 

 

Et j'ai basculé. Subrepticement. 

 

suite... 

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