Le poème des Voyelles ne manque pas d'interprétations, des plus académiques aux plus comiques. Vu de ma fenêtre, je pense que le jeune poète s'en foutait de savoir pourquoi telle couleur avec telle voyelle et tel mot.
Je crois que ce qui est important, c'est de concevoir qu'on puisse voir des mots comme des lumières, comme des formes qui naissent, vivent et meurent. C'est de comprendre que cet homme pouvait voir les lettres comme des êtres vivants qui émettent un son, une musique, et qu'il essayait de nous dire ce qu'il entendait, ce qu'il comprenait de leur voyage.
Ce qui est important, c'est de saisir la transmutation du réel au langage.
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -