3ème nuit

La cale est moins lumineuse. Tout semble calme. D'un seul coup le pêcheur surgit du fond et dit: 

 

T’as faim ? puis il repars d'où il avait surgi. De là s'échappe un épais fumet. Un poêle à bois ronronne dans un coin et envoie une chaleur assourdissante. 

 

Le pêcheur revient avec un énorme marmite fumante qu'il pose lourdement sur la table. Pendant qu'il sert deux assiettes dressées là, l'enfant l'observe. Il n'ose pas s'asseoir. L'homme est plus petit que lui, mais a le corps robuste, trapu, charpenté par de larges épaules. Sa peau est tannée par le vent et par le  mauvais temps, ses joues sont creusées comme les multiples sillons d'une montagne érodée. De son crâne plein de cicatrices jaillissent deux touffes de cheveux bruns, ébourrifés. Des petites lunettes rondes achèvent de lui donner un air tout-à-fait étrange. 

 

C’est alors que l’enfant sent dans son ventre tout gargouillant monter une faim irrépressible. Il se demande toujours depuis combien de temps il a dormi, et combien de distance il a parcouru sur le fleuve durant son sommeil, mais il ne veut pas savoir où il se trouve en ce moment, ni quelle heure il est... Alors il reste silencieux. L'homme l'interrompt. Assied-toi. Mange pendant que c'est chaud.

 

L'enfant s'assoit à table gêné en le remerciant. L'homme dit: Je suis pêcheur, et toi? 

 

Pendant que le pêcheur happe des cuillères de soupe, l'enfant pense qu’il se trouve peut-être dans le ventre d’un monstre, dans le ventre d’une baleine, que le bateau l’a avalé, et que maintenant, il en découvre l’intérieur, l’intimité, l’estomac. Il se dit qu’il va manger dans le ventre du monstre, qu'il va manger peut-être ce que le monstre a mangé. Puis il se voit soudain en gestation dans le bateau, et il se dit qu’il est dans sa chair et dans ses entrailles...

 

Alors que s’enchaînent ses pensées à une vitesse fulgurante, de Jonas à Pinocchio, il dit: Je suis poète. Puis, pour arrêter de penser, il se met à manger, sentant pénétrer en lui la chaleur des aliments.

 

Un fumet sort de ses lèvres à chaque fois qu’il respire. La chaleur l’envahit de la bouche à la gorge, jusqu'à l'estomac et les tripes. Il sent tout en lui s'embraser d’un feu intense. La soupe l'ébouillante à l'intérieur, comme le poêle en fonte, où brûlent des bûches, et qui réchauffe le ventre du bateau. Quelque chose a changé dans son corps. Il n'a même pas le temps de dire ce qu'il ressent au pêcheur que ce dernier a déjà disparu, sorti par une porte. Il entend ses pas sur le pont, puis le silence. Par les hublots, les derniers rayons du soleil s'éclipsent. 

 

Alors, ayant terminé son bouillon, il retourne dans la cabine où il se sentait si bien et s'emmitoufle dans le duvet. Au bout d'un moment, il pense qu’il est ici comme s'il avait toujours été là, comme dans ses pensées, comme si c'était l'intérieur de lui-même. Il pense qu’il est ici-en-lui-même, et que ce lieu étrange lui ressemble d’une certaine manière. Et il ne sait plus qui de lui ou du bateau flotte dans la profondeur de ses pensées. Il ne sait plus qui de lui ou du poêle à bois produit cette chaleur intérieure. Il ferme les yeux et sent la chaleur rouge des braises l’emmener dans un début de rêve.

 

Troisième nuit. 

 

 

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