Villa Nova

photo et réalisation: gauthier roumagne
photo et réalisation: gauthier roumagne

 

 

Et je m’écoule, ici je coule des jours paisibles. J’en ai connu des rives et des vallées, j’en ai vu des visages et des ponts me traverser, des ruisseaux venir grossir mes flots de rivière sauvage. J’en ai porté des gabarres et des bateaux sur mon dos, moi la vieille Olt, j’en ai amené du vin et des pruneaux. Par mes eaux, c’est toute l’histoire que j’ai versée, déversée et les hommes qui se sont rapprochés, les uns des autres. Il faut bien survivre, oui, il faut vivre, et commercer, et prospérer, pour pouvoir chanter.

 

Il y a bien longtemps que j’ai désaltéré les gaulois, bien longtemps que j’ai guidé des colonnes de romains, jusqu’à ce rivage si particulier.

 

D’ici, quand on arrive, on me voit encore passer, doucement, en dessous des ponts, et de certains endroits, on peut me regarder serpenter au loin.

 

Il y a bien longtemps, laisse que je me souvienne, quand j’ai vu naître cette bastide fortifiée, en ces temps si obscurs, moi j’ai bordé la fondation de la très vieille Villeneuve qui m’enlace depuis sept cent cinquante ans.

 

Par eaux marchandes et volantes, c’est une histoire d’amour, une histoire de terre et de rivière, le clapotis des siècles qui ondule sur le bord des terres, tout au long des mémoires, c’est le sens du courant qui descend et s’en va vers les mers, c’est le présent qui remonte au loin le cours du temps.

 

Voici.

  

Sur les hauteurs, on voyait l’imposante forteresse de Pujols. Les chrétiens d’ici voulaient être parfaits. En cette époque de grand brouillard, chacun voyait dieu à sa porte.

 

Le pape s’appelait Innocent, Innocent Trois. Et pourtant, il lança contre les hérétiques Cathares une guerre sans merci, d’une violence inouïe. Une guerre-inquisition, une guerre-croisade, une répression sanglante pour reprendre le pouvoir.

 

Les soldats du pape ont démonté, pierre par pierre, la forteresse de Pujols pour punir ceux que l’on appelait les albigeois. 

 

photo et réalisation: gauthier roumagne
photo et réalisation: gauthier roumagne

 

 

C’est une vieille histoire de sacres et de massacres, de gens attachés au pilori, qu’on a fait brûler sur des bûchers, c’est une mémoire de torture, c’est la douleur des corps, et l’inquisition des esprits, sous une pluie de cendres, des échos d’agonie, des hurlements et des cris qu’on entend encore parfois quand on écoute le vent d’ici.

 

C’est une histoire de fleurs aussi, de myrrhe et d’encens qui parfument les sacristies, une histoire de mariages, de bonheurs arrangés, pour créer de toute pièce la paix et la liberté.

 

On s’empressa d’unir les maisons de Toulouse et de France, en mariant de nobles enfants de neuf ans, qui devaient porter la paix en ces contrées.

 

Non loin des débris fumants de Pujols, se tenait encore un moulin, entouré d’une Abbaye.

 

Alphonse de Poitiers et Jeanne de Toulouse ont un jour logé dans ses murs.

 

Ils décidèrent en cette grande année 1264 de fonder sur mes berges une ville nouvelle. Villeneuve fut construite au pied des ruines de Pujols, avec les pierres de la forteresse détruite. 

 

A cette époque là, on me traversait à pied.

 

Bastida, villa nova, bastida, villa nova

 

Alphonse, l’abbé et le notaire ont tracé les contours d’une nouvelle place centrale, formant des moulons, divisés en carreyras.

 

A cette époque là, on me traversait par un pont de bois.

 

On vit arriver en nombre hommes femmes et enfants, qui s’affairaient à construire des jours meilleurs.

 

Il en a fallu des eyrial, et des hectares, il a fallu faire de la place, et défricher des forêts entières avec des scies à bois, et de la sueur, trancher des arbres, assécher des marais, pour ouvrir l’espace, c’est ainsi qu’ils ont dit : prenez autant de terre qu’il faudra !

 

Ils inventaient des manières de vivre, des contrats de paréage, des chartes de coutumes, jouissant de nouveaux droits, de jolies libertés. Un soir, on les entendit qui colportaient à grande voix cette bonne nouvelle :

 

« Faisons savoir que par nous ou nos successeurs, ne soit fait, en ladite ville neuve, aucune taille ou impôt, que tous les habitants de ladite ville neuve et ceux qui y habiteront au temps à venir pourront vendre, donner, aliéner tous leurs biens, meubles et immeubles à qui bon leur semblera, que les habitants de ladite ville neuve pourront franchement et librement marier leur fille à qui et ou bon leur semblera, que nous voulons que lesdits habitants puissent jouir et user des bois, forêts, pierreries et fontaines du domaine qui est en notre main pour bastir leur maison, et que nous ne prendrons ni ne mettrons en prison aucun des habitants de la dite ville neuve… »

 

Dans la bastide toute neuve, on était libres d’aller et venir, et libres d’entrouvrir des portes sur le monde, comme le vieux coffre, où l’on conservait toute la mémoire de la ville.

 

A la naissance d’une ville, à la fondation d’un monde, à la soif de liberté, à la santé des hommes, à la recherche de richesses, au partage des terres, à la naissance d’une ville…

 

Mais cette liberté prospère attirait des convoitises. Les anglais prirent à plusieurs reprises possession des lieux. Alors on refit une guerre, et cette fois elle dura cent ans.

 

A cette époque là, on me traversait par un pont de pierre, mal embouché.  

 

Les habitants m’ont coiffé de tours et de remparts. Qu’elle fut française ou qu’elle fut anglaise, on put dire de Villeneuve qu’elle était imprenable. 

 

Allah Mrèna !

Saint George !

Dieu et mon droit !

In deffens !

Tally-ho!

Vlaenderen die leu !

Montjoie ! Saint-Denis !

Guyenne ! Saint Georges !

Non-Lèi!

Saint-Liénard !

A la rescousse !

Au plus dru !

Santiago ! Castilla !

Banzai !

 


photo et réalisation: gauthier roumagne
photo et réalisation: gauthier roumagne


Deux siècles plus tard, la Reine Margot voulut elle aussi s’en emparer. Mais Arnaud De Cieutat l’arrêta sur le vieux pont qui prit son nom.

 

Puis vint le siège des troupes du Roi, la colère de Mazarin contre la ville qui protégeait les frondeurs, l’enfermement, la soif et la faim, la misère de la guerre encore et toujours qui ronge et qui broie, la lutte des princes du sang, les familles qui se déchirent, les frères qui s’entretuent. Ensemble nous avons résisté à la Fronde qui minait le Royaume. Villeneuve fut la dernière à céder.

 

Infâmes faquins, qu’on mette au pilori les traitres et les coquins, démontez les remparts, payez l’amende, courbez l’échine, comblez les fossés, désarmez les gens de guerre, et criez Vive le Roi !!

 

Ils ont démonté les créneaux de nos tours, ils ont démantelé nos fiers remparts… Qu’à cela ne tienne ! On a préféré s’embellir, et s’agrandir. C’est là qu’on a vu naître des poètes aux accents occitans.

 

Lou calel, adichar… Escutas mon pais, de garono e dadou

 

Combien d’enfants ont appris à nager à mon écluse…

 

Villeneuve de Pujols. Villeneuve d’Agen. Villeneuve d’ici un point c’est tout. Je t’ai offert un banc de sable pour décharger les cales des bateaux, je t’ai laissée t’étendre de chaque côté de moi. Jusqu’à devenir grande.

 

A cette époque là, on me traversait par un pont toujours plus solide, qu’on avait reconstruit parce que mon courant l’avait rendu fragile.

 

Dans l’église Sainte Catherine, toute de briques et de pierres, on pouvait voir briller le ciel au travers de vitraux dessinant des résurrections, des renaissances.  

 

Tout autour, des pénitents blancs et des pénitents bleus se disputaient la vertu pour venir en aide aux veuves et aux malades. Ils se castagnaient en pleine rue pour voler au secours des nécessiteux. Rivaux locaux, ils prêchaient pour leur paroisse, pour leur corporation, pour leurs chapelles, pour leurs processions, ils s’entraidaient à coups de bâton.

 

Vers la place des Cornières, au cœur de la cité convergeaient marchands et négociants, bois et fromages, artisans, paysans, cuivre et papier, bouchers, arracheurs de dents, farines, prunes, eaux de vie, tabac, alcools enivrants, chanvre, vivres, matériaux et gens opulents. Ils déchargeaient, cheminaient, affluaient au galop par le réseau des rues. Les Ménoire, les Bercegol, les Carrière et tous les autres arpentaient les embans, les angles et les arêtes contigües de cet entrelacs de charrettes, d’ânes et d’enfants, et c’est ainsi que par ici à même le pavé ou sur des étals chancelants pullulait la vie d’antan.

 

A cette époque là, on me traversa par un chemin de fer.

 

C’est là qu’arrivèrent les trams et les trains, les voitures et les camions partout les routes, les autoroutes envahirent et découpèrent les terres.

 

Alors moi, la rivière sauvage, de guerre lasse, je m’endormis.   

 

Tu me délaissas. Tu m’oublias Villeneuve. Tu pris d’autres amours : tu aimais les journaux, le cinéma, le théâtre, sur tes grands boulevards, les restaurants, les réverbères, les halles d’acier, les vaudevilles, les conserves, les opéras-comiques, grands chanteurs de casino, airs d’opérettes, le cirque Pinder, la poudre aux yeux, les spectacles équestres. Je me souviens des fééries colorées, des films d’art, des actualités, projetées sur grand écran dans la fumée des cigares, des gymnastes, des escrimeurs, des quelques avirons qui venaient encore me caresser au fil de l’eau.

 

Tu t’es battue pourtant, pour que mon nom reste à jamais collé au tien :

 

« Considérant qu’il y a intérêt que le nom de la ville soit fixé de manière absolue et définitive, le Conseil Municipal décide en ce jour que la ville devra porter le nom unique de « Villeneuve-sur-Lot ». »

 

La vieille abbaye est devenue une prison. Le moulin d’autrefois se changera en musée.

 

J’en ai fait couler de l’eau sous mes trois ponts…

 

Les siècles ont passé, mais moi je veux fêter les années à venir, le futur à inventer, le présent à construire, sept cent cinquante ans de flots, de mélange et de remous à imaginer. C’est ici, c’est déjà maintenant. Je veux voir naître et venir encore des habitants, et continuer à irriguer l’histoire de la Villeneuve d’après.

 

photo et réalisation: gauthier roumagne
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