La femme aux sept prénoms

Emilie. Lili. Nina. Julia. Simone aussi. Bella. Mira. Belamiri. Mais pourquoi ma grand-mère avait-elle autant de prénoms?

 

Et dire que moi, je l'appelais Mémé. Ma grand-mère. Ou m'aimer.

 

Cette dame, qui, ça se voyait, avait du être belle, à en perdre son patois. Elle parlait chtimi. Lili. Lila. Elle avait oublié la langue kabyle de l'aïeul Arezki, pépère Moumouss, patriarche mythique qui venait de là-bas. Chut! Tout le monde à table. Quand on mange le couscous, on ne parle pas. On déguste. On sourit. Et qu'est-ce qu'on dit? J'entends pas. Merci. Oui merci la vie. 

 

Elle avait mal aux os, et elle disait: "J'ai de maux à mes oches." Elle avait voté contre le traité de Maastricht. Pourquoi? "Parce que j'aime pas les bosch." Elle dormait avec un fusil. Emilie. Parce qu'elle disait: "Un jour Marcel, il va revenir. Il va venir me tuer." Elle avait peur. De qui? Toute mon enfance, je me suis demandée. Mais qui est Marcel? Chut! Tais-toi donc. Tu ne dois pas parler de ça. 

 

Pourquoi elle a divorcé de mon grand-père, Simone? Pourquoi elle avait abandonné mon père, encore petit, Lili? Chut, ou je te cous la bouche. Avait-elle eu autant de vies que de noms, Julia? Je ne sais pas. 

 

J'ai arraché des bribes d'intrigues à l'histoire illicite. En jetant des coups d'oeil furtifs sous le couvercle des secrets, quand parfois la vapeur l'a soulevé. Et j'ai entrevu peut-être cette femme, un jour, la clope au bec, un verre à la main. Dans un sourire fatigué, elle disait qu'elle était en cavale. Oui j'ai vu ma grand-mère en cavale. Elle s'appelait Nina. 

 

Elle avait quitté homme et enfants, pour suivre un Marcel, passé par là. Ce Marcel avait tué sa femme. Il était en cavale. Elle le savait. Elle le suivit. Et un jour, peut-être que c'est elle qui le dénonça. Pour tout arrêter. Pour réparer. Pour revenir en arrière. Elle emménagea au milieu des bois. Bella. Mira. Auprès de ses enfants. A Revin. 

 

Plusieurs années après, à l'orée de sa mort, revint le souvenir. Le fantôme du passé. Le jour lointain de la fin de sa peine. Marcel est sorti, ils l'ont libéré. Il va venir, pour se venger. Mais Marcel en vrai ne revint jamais. 

 

Si Marcel existe ou pas? Je ne le sais pas. Mais Emilie, elle oui. Et Lili. Nina. Julia. Simone aussi. Ce sont toutes ces grand-mères en une seule qui ont nourri mon imaginaire. 

 



Le grand-père qui ne l'a pas été

 

 

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