Regret

 

Nota bene: l'amour peut vous tuer

 

 

Si j'ai bien un regret dans notre histoire, lointaine déjà, c'est de n'avoir pas hurlé comme une hystérique ce jour là, et saccagé cette salle de théâtre, et foutu la merde à cette ambiance feutrée et dorée où nous nous trouvions, toi, moi et toute l'institution culturelle.

 

Bien installées dans des fauteuils rouges faits pour flatter l'égo et enkyster les cerveaux et les culs des spectateurs, au milieu d'une majorité de bourgeois rémois, j'entendis la masse s'ébahir et acclamer Bertrand Cantat jouant de la guitare électrique, dans des tragédies grecques à peine mises en scène par Wajdi Mouawad. J'éprouvai d'emblée une colère, une émotion d'injustice au fond de moi, et je sentis quelque chose me déchirer à l'intérieur. Je crois que c'est ce jour là qu'on s'est vraiment quittées toi et moi. 

 

Mais j'avais alors encore beaucoup trop de filtres, et de peurs illusoires du consensus social, pour oser dire ou faire quoi que ce soit. 

 

Heureusement, mon téléphone s'est mis à sonner, et je n'arrivais pas à l'arrêter. Il sonnait et re-sonnait, je ne le trouvais pas. Il sonna encore une fois et ça en devint gênant. Et je sentis la honte monter, la faute grave s'inscrire sur moi par ces regards excédés et par ces soupirs tout autour, de tous ceux que je dérangeais, toi y compris, dans leur délectation du spectacle, dans leur voyeurisme branché, et je me mis à transpirer sous tant de pressions.

 

Mais aujourd'hui, je sais ! 

 

Heureusement qu'il a sonné ce putain de téléphone ! et heureusement qu'il a subrepticement bousillé l'entrée sur scène de l'artiste torturé... Il a sonné pour moi qui n'ai rien fait, pour faire parler mon être profond qui s'est tu, pour dire le désarroi qui ne trouvait même pas de mot ou de réaction en moi. Il a parlé pour d'autres voix aussi peut-être en moi. Des voix de souffrance, que j'entends. Il a dit à quel point j'exècre tout ça, et comment j'ai envie de distribuer des coups de pied et des coups de poing. De cracher. D'invectiver. Comme une possédée, comme un animal sauvage. Contre ces fauteuils rouges. Contre cet air faussement inspiré. Contre ce cynisme déballé. Contre l'institution satisfaite d'elle même. Contre toi, jouant le grand jeu de tous ces vendeurs de vent. Et contre moi, prise au piège de mon amour addictif pour toi. 

 

Et si cela devait se passer aujourd'hui, pour sûr, je me lèverais et je crierais sans vergogne: "Assassin ! Assassin ! Va cacher ton visage ! Tu as tué une femme avec tes mains, salaud !" Je crierai à tue-tête, jusqu'à me faire vider par des ouvreuses désoeuvrées, et je tirerais la langue à toute la brochette des huiles, et à toi aussi, ou peut-être qu'à toi, je n'adresserais pas même un regard.

 

Tu vois, c'est mon seul grand regret aujourd'hui, quand je repense à tout ça et à ce jour, où je me suis laissée accabler encore une fois. Car j'ai aujourd'hui la conviction au plus profond de moi qu'il y aurait eu bien plus d'amour dans l'acte de détruire tout cette belle ambiance que dans celui de ne rien faire du tout, pourvu de regarder sagement le spectacle, comme ils ont prévu qu'on le fasse. 

 

 

 

 

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