Gavroche

Paris - 14 et 15 juillet 20...

 

 

En faisant une excursion dans les rues parisiennes de l'insurrection de 1832 (Rue des Archives, Rue Rambuteau, rue des Haudriettes..., contexte des Misérables et de la mort de Gavroche), nous sommes arrivées inopinément jusqu'à la cantine de la rue de la Reynie, le bistrot où j'ai pris pris l'habitude d'aller manger lors des résidences à la Maison du Geste et de l'Image.

 

J'ai pensé : « C'est encore ici, ou jamais ! »

 

Chemin faisant, je regardais les passants, les badauts, les jeunes et les enfants, en me demandant qui étaient les Gavroches d'aujourd'hui. Je me demandais si on pouvait comparer un jeune, même de banlieue, un jeune à casquète, arpentant les rues bondées des Halles, avide de soldes et de bonnes affaires, au personnage de Gavroche. Je me demandais si un tel jeune, individualiste et consumériste, pouvait sérieusement incarner un personnage de la teneur de Gavroche. Et j'étais chagrinée. Définitivement pas convaincue par ce raccourci.

 

Assise à la terrasse couverte de la cantine habituelle, devant la carte où je prends désormais toujours le même plat (comme on aime prendre des habitudes là où tout est pourtant possible...), je remarquai ce groupe de quatre garçons qui gigotaient un peu plus loin, sur le petit parvis à l'angle de la rue Quincampoix.

 

C'était des Roms. L'un d'entre eux retint plus particulièrement mon attention. Il avait le teint halé, des yeux noirs et vifs et les cheveux en bataille. Il gigotait dans tous les sens. J'eus l'image d'un oiseau à l'affût et il me vînt le mot             « cioara », en roumain, le corbeau, le gitan. Il portait un pantalon d'homme en toile, un peu usé et bien trop grand pour lui, qui retombait en plis de tissu mouillé sur ses chaussures, elles aussi misérables et détrempées. Je vis sur lui des auréoles de crasse urbaine. Sa ceinture en cuir faisait trois fois le tour de sa taille rachétique. Je pensais que, comme Gavroche, ses vêtements lui avaient sûrement été donnés par d'autres hommes que son père.

 

Les garçons se chamaillaient, riaient, piaillaient et remuaient vivement et oui, on aurait dit des petits moineaux se racontant, dans une langue qu'on ne comprendrait jamais, les exploits extraordinaires de leur journée. Ils étaient là, les petits Gavroches d'aujourd'hui. Ils étaient là devant moi, joyeux et tristement beaux, dans leur misère.

 

Je me suis demandée, lorsqu'ils se sont envolés en sautillant gaiment, où ces gamins pouvaient bien« rentrer » ? Comme Gavroche, ils rentraient sûrement chaque soir dans la rue. Mais où peuvent-ils bien dormir ? Quel éléphant pouvait bien les accueillir ?

 

J'imaginais le ciel bruyant comme seul toit de leur sommeil, quelque part près d'une porte, au-delà du périphérique. J'imaginais les patrons des bars les chassant méchamment pour la sécurité des clients mal à l'aise. Je pensais au dédain, au dégoût, et à la haine historique, indécrottable, celle des roumains, des européens, à l'égard de ce peuple nomade. Ce petit peuple insaisissable, qui migre inlassablement entre ici et là, et se fout bien des frontières et des codes, des principes et des lois. Ces âmes pour qui la vie et la mort ne sont presque rien.

 

Je sentais monter en moi la liberté inconsciente de leur jeune âge – cette innocence indissoluble même dans la boue – qui était toute leur fortune. C'était eux les enfants de la liberté libre, dont depuis longtemps nous n'avons même plus le souvenir.

 

 

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