Journal d'Ethiopie

13h – Harar, Place du marché, près de la porte principale

 

Arrivée à Harar. Nous descendons du minibus, plongés directement au milieu d’un chaos indescriptible de touk-touk, de 404 Peugeot, d’ânes tirant des charrettes, de troupeaux de chèvres conduits par des femmes en longs voiles, de vieux infirmes qui se dandinent sur leurs béquilles de bois, d’enfants qui jouent avec des cailloux. A la porte de la vieille ville, tout ce trafic mi moderne mi atemporel s’organise avec les vendeuses de légumes assises sur le sol et les passants qui circulent entre leurs étalages de fortune.

 

Nous nous postons à l’ombre, car le soleil nous pique, et téléphonons à notre guide, Habtamu, pour l’informer de notre arrivée. Pendant que nous l’attendons, un jeune homme vient me parler en anglais et me demande si nous cherchons un hôtel, si nous avons besoin d’un guide. Il s’appelle Anouar. Je le remercie et lui dis que nous avons tout ce qu’il nous faut. Mais vu son look de jeune rasta, je lui demande s’il connaît deux jeunes de son âge du nom de Rasta et Ras Fajaja, dont m’a parlé Myriam, une amie qui est venue plusieurs fois à Harar et a fait amitié avec eux, trois ans auparavant. Il les connaît ! Il me dit que Rasta est très malade et que Ras Fajaja vit à Paris depuis deux ans avec une Française et qu’il a un bébé. Il me montre des photos. Je les photographie pour les envoyer à Myriam. Une première connexion est faite. Nous nous promettons de nous revoir ces jours-ci.

 

Habtamu arrive et nous emmène avec lui. Nous entrons par la porte principale de la ville ancienne et c’est comme entrer dans un autre temps, mettre le pied dans un autre siècle. La vieille ville est un dédale de ruelles multicolores dans lesquelles s’amassent, assis par terre le long des murs, des femmes, des enfants et des hommes, tous et toutes d’une indicible beauté, habillés comme s’ils sortaient d’une caravane du désert ou d’un conte des milles et une nuits. Grands voiles amples et vaporeux, chèche sur la tête, barbes teintes au henné, chèvres, chiens et chats errants en liberté, bâtons noueux à la main, ânes aux sacoches de cuir vieilli, plats tressés où sèchent des épices, portés sur le haut de la tête, grains, légumes et fruits inconnus, beignets cuits sur des braseros minuscules, encens, café, fèves, étoffes de coton, à vous donner le tournis. Les odeurs (il n’y a pas de voiture dans les ruelles, juste des humains et des animaux et ça change tout), les couleurs, les chocs visuels, olfactifs et auditifs sont à leur paroxysme, atteignent une extase difficilement descriptible. Enfin j’y suis, dans l’autre temps, dans ce passé inaccessible, impensable. Il est là, devant moi, le voilà ! Le siècle de Rimbaud est resté intact dans les ruelles de Harar.

 

Sur chaque parcelle d’espace où se pose notre regard se trouve un enchantement. Tout est terriblement cruel, aussi cruel qu’à Addis, mais beaucoup plus beau, car les gens ici ont l’air heureux de vivre. Il flotte dans l’air un parfum d’allégresse, une joie partagée. Chaque passant nous sourit, nous regarde d’une étincelle de connivence. Presque chaque personne croisée nous illumine d’un signe de bienveillance. Les sourires sont francs, les visages apaisés. Il y a beaucoup de monde dans les rues. Il règne une ambiance sereine, comme si tout le monde se connaissait, comme s’ils prenaient soin les uns des autres, et de nous, d’une certaine manière, nous sachant étrangers.

 

« Faranjo, faranjo ! », les enfants nous appellent en riant à chaque coin de rue (les blancs, les étrangers), les gens nous saluent aussi, de la main, ou avec des « salam » ou des « hello », sans avoir l’air de chercher autre chose que de nous dire bonjour. Nous dire qu’ils nous voient, qu’ils savent que nous ne sommes pas de là, mais que nous y sommes les bienvenus. La nonchalance des femmes est déconcertante, comme leur extrême beauté, la finesse de leurs corps et de leurs traits, leur couleur de peau cuivrée, presque dorée. Elles nous harponnent du regard, prennent parfois ma main, ou une mèche de mes cheveux, veulent comprendre le tatouage d’Alan, nous disent quelque chose que je pressens être gentil, avant de continuer leur chemin. Les hommes aussi sont très beaux, très dignes, même allongés par terre et avachis. Ils sont comme sculptés dans leurs postures filiformes. 

 

Nous croisons des hommes qui se tiennent la main, en signe d’amitié. Il y a, dans les rapports humains, une tendresse affichée et remarquable. Nous discutons longuement avec Habtamu qui nous fait visiter le Centre Culturel Harari où nous jouerons notre spectacle vendredi prochain, et la maison dédiée à Rimbaud, havre de paix au milieu de la vieille ville. C’est lui qui nous introduit à la douceur et à la gentillesse Harari.

 

 

 

Maison Artar Raamboo

 

 

 

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