Journal d'Ethiopie

Lundi 16 octobre 2017 - dans l’avion d’Ethiopian Airlines, quelque part au-dessus de l’Egypte.

 

A minuit, nous embarquons dans l’avion. Nous ne sommes plus des personnes, mais des passagers, un peuple bigarré, d'origines diverses et variées. Enfants, jeunes, adultes, vieux, femmes, hommes, de toutes les couleurs, de toutes les langues. Chaque présence ici est incongrue, mais chacun voyage pour des raisons précises. Mélange improbable qui, le temps du vol, fait de nous une mini-communauté.

 

5h du matin. Nous avons déjà passé l’équateur. Je suis parmi les rares passagers qui ne dorment pas. Pendant la nuit, j’ai vu depuis le hublot de l’avion une étoile rouge flotter dans le ciel noir infini, une lune jaune à l’envers me sourire et se décrocher de sa toile bleu foncée, et le soleil rose se lever sur un continent de nuages.

 

Le temps du trajet est court, pour cette distance. Mais la relativité physique de l’univers le rend long et interminable pour nous, petits humanoïdes occidentaux post-modernes. J’imagine ce voyage à pied, à dos d’âne ou de chameau, les chemins sinueux et irréguliers entre les cols des montages et les collines du désert. Je vois ceux qui marchaient jadis, et ceux qui marchent encore aujourd’hui, les bateaux pneumatiques bondés qui flottent fragiles sur une mer déchaînée, les nuits dans le froid et les matins qui se succèdent sur des courbatures accumulées. Les pieds blessés dans des chaussures mouillées. Le danger permanent qui finit par devenir banal. Je sens la sueur couler sur mon front, et la soif nouer ma gorge. Heureusement, une hôtesse de l’air me propose un verre d’eau en me souriant et me donne des écouteurs pour ne pas déranger mon voisin pendant que je regarde un film que je peux choisir moi même. Nous, ça fait bien longtemps que nous ne sommes plus des héros.

 

8h du matin – Aéroport international d’Addis Abeba

 

Nous atterrissons, et sortons de l’avion 7 heures plus tard. La première sensation en posant le pied sur le tarmac de l’aéroport est olfactive. Ca sent la vie : un mélange de pisse sèche et d’égouts qui débordent. La deuxième sensation est visuelle : j’ai l’impression qu’on m’a soudainement retiré un voile de brouillard et que la lumière est entrée d’un coup en moi, sans prévenir. Je suis aveuglée par le soleil d’ici, pourtant légèrement couvert ce matin là. Il me semble qu’il s’agit d’un tout autre astre que celui que j’ai connu jusqu’ici.

 

Après le passage interminable aux douanes, Mamouche, un des agents de l’Alliance Ethio-Française, nous trouve tout de suite, paumés que nous sommes dans le hall bondé de l’aéroport. Il vient vers nous et nous aide à changer nos premiers billets d’euros en birrs. Taux de change à 31 birrs pour 1 euro. Nous nous retrouvons rapidement chacun avec une grosse liasse de billets de banque bien éprouvés, que nous rangeons précautionneusement dans nos portefeuilles.

 

Mamouche nous confie à un autre homme, un chauffeur de l'Alliance Française, dont j’ai oublié le prénom amharique, qui nous fait monter dans un van, sur le parking de l’aéroport. Il ne parle pas français, mais un peu d’anglais. Il nous aide à charger nos valises. Je me sens déjà en dette de lui laisser les porter pour moi, mais il insiste. Nous entrons avec lui dans Addis par une longue route bondée de voitures, d’ânes, de chèvres et de gens. Les premières impressions me submergent. La lumière étincelante, les couleurs vives qui attrapent mes yeux, la vie grouillante au bord des façades inachevées, les échafaudages bringuebalants faits de longs bouts de bois enchevêtrés, les passants qui déambulent nonchalants dans des étoles légères, toute la vie qui fourmille ici et se contre-fout de notre arrivée. Nous hallucinons d’emblée. Cette sensation se poursuivra tout au long de notre séjour.

 

 

8h30 - Quartier du mercato, chez Tomoka

 

Dans le quartier de l’Alliance, nous rencontrons Lucie. Elle arrive en traversant une avenue surchargée de vieilles voitures fumantes et de passants vagabonds, sautillant sur ses hauts talons, sa longue écharpe soyeuse flottant dans le vent. On dirait Mata-Hari. Très classe. Genre hippie chic. Elle monte dans le van et nous avançons jusqu’au bar café Tomoka. Là nous prenons un café ensemble, dans un établissement qui me rappelle certains vieux bars italiens. En buvant le café serré d’Ethiopie, de ceux qui vous noue les tripes, elle nous explique qu’elle vit à Addis depuis quatre ans et qu’elle travaille comme directrice culturelle de l’Alliance Ethio-Française depuis un mois seulement. Venue ici initialement pour voir les volcans, elle est tombée en amour pour ce pays et nous raconte comment elle est restée là, dans cette ville folle. Elle nous parle du passé de l’Ethiopie, le seul pays d’Afrique qui n’a jamais été colonisé, de la fierté de ses habitants, des conflits entre ses différentes ethnies, de leur manière de boire le café... Elle me dépasse d’une bonne tête, ce qui est rare pour une femme. D’habitude je suis toujours la plus grande. Elle est extrêmement belle. Et elle nous accueille, plutôt elle nous cueille, comme des « nouveau-nés ».

 

C’est la sensation que j’ai de moi en effet à cet instant : un nouveau-né, dans mon regard, dans mon corps plongé au milieu de cet immense chaos. Me voilà enfant du monde, bien calmée dans mon égo habituel, comme si je n’avais rien vécu jusque là, comme si ma vie commençait ici. Tout ce que j’ai fait de plus grand et d’important jusqu’à aujourd’hui s’évanouit d’un coup et n’a plus de sens, face à ce que je vois, à ce que je ressens, devant cette femme qui parle de sa vie dans ce pays. Je me sens jeunette, verte, naïve, paumée, désorientée, et absolument enchantée de l’être. Un sourire béat s’inscrit sur mon visage. Il ne me quittera pratiquement jamais, de tout le voyage.

 

9h25 - Quartier du mercato, Hôtel Haikan

 

Dans ma chambre d’hôtel, quelqu’un frappe à la porte. C’est une assistante de Lucie, qui est venue m’apporter une enveloppe d’argent. C’est notre per-diem, une ration quotidienne sensée nous défrayer les repas et les hébergements. Deux heures à peine après mon arrivée, je me retrouve avec une quantité incroyable de billets de banque éthiopiens, plusieurs milliers de birrs, dans les mains. Je les étale sur le lit, ils ont une odeur particulière, ça sent le beurre. La texture du papier est plus qu’usée, elle est huileuse, ça colle à la peau. J’ai envie de me laver les mains, après les avoir les avoir touchés. C’est une sensation étrange, la richesse soudaine.

 

Avant de m’endormir pour quelques heures de sieste, je suis heureuse que la première femme que j’ai rencontrée en Ethiopie s’appelle Lucie. C'est un signe. 

 

 

Lundi 16 octobre - après midi

 

 

 

 

 

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