Journal d'Ethiopie

En Rimbaldie

 

 

A Harar, nous avons traduit ainsi le texte de fin du spectacle : « Just after this, Arthur stops writing, and begins his long trip to Africa, until here, in Harar, where he has been living for eleven years, together with Harari people. He must come back to France because he’s ill and in Marseille, a doctor cuts his leg. Anyway, he was ready to come back here, where he surely wanted to rest in peace. »

 

Au moment de mourir, à l’Hôpital de Marseille, Arthur avait en poche le billet de bateau pour traverser la Méditerranée et rejoindre l’Afrique. Il voulait rentrer à Harar. Il en crevait. Je mesure son désespoir. Il ne voulait pas mourir en France, j’en suis persuadée. Il ne voulait pas être enterré à Charleville, dans le caveau familial. Je crois qu’il n’est rentré dans les Ardennes, à la toute fin de sa vie, que par contingence médicale. Et malgré les infections et la douleur, il est reparti, dans un ultime soubresaut pour fuir l’Europe. Sans cette gangrène qui remontait jusqu’à ses hanches, il serait déjà revenu à Harar. Sans ce genoux malade, il n’en serait jamais parti. L’Europe est venue jusque dans son corps, le pourrir de l’intérieur. Il n’a pas réussi à purifier sa propre matrice et à quitter la vie en Abyssinie, dignement, aux côtés de ceux qu’il aimait sûrement et dans lesquels ils se reconnaissait: Jamil, et autres Afars ou Harari. Car nos origines sont tenaces et plus fortes que tout ce qu’on accomplit pour les effacer. Ainsi sa mère l’a vampirisé au point de récupérer sa dépouille depuis Marseille pour l’entreposer dans un cimetière carolo. Le brouillard, la pluie, le froid, l’humidité entourent sa tombe à Charleville pour l’éternité.

 

J’ai rempli une bouteille en plastique avec de la terre sableuse de Harar que j’ai collectée devant quelques chèvres qui broutaient paisiblement au soleil de midi. J’irai en mettre sur le marbre froid de sa tombe, à Charleville. Je ressens cela comme une urgence vitale. J’ai également envie de passer de la musique Ethiopienne, des rythmes endiablés pour le réchauffer un tout petit peu, au fond de son caveau tout froid. De la musique chaude, qui donne envie de taper le sol du pied et de crier, comme un sauvage en transe. J’apporterai des voiles et des tissus, je m’envelopperai dedans. Assise par terre, je boirai un café en silence avec lui. On entendra peut-être résonner au loin un appel à la prière, s’envolant d’un minaret. Et des femmes nous haranguer pour qu’on achète une banane ou un beignet. Le Faranjo Rimbaud mérite bien qu’on lui rende au moins ça !

 

Pendant la montée de khat, chez Abdul, nous avons longuement divagué sur Rimbaud et ce qu’il bricolait ici à Harar. Abdul nous a raconté que Rimbaud a légué tout son argent à Jamil, un jeune Harari. Anouar nous a dit aussi que le sac de voyage de Rimbaud se trouvait toujours quelque part dans le désert non loin d’ici, et qu’une bague ancienne a été récemment trouvée au Yémen, gravée du nom d’Arthur Rimbaud. Tout ce jeu de piste autour de ce voyou provincial qui se fondait au sein des ethnies les plus redoutées comme les Afars, ajoute au mystère rimbaldien. Dans l’exaltation du khat, j’ai soumis à Abdul et à Anouar une idée : façonner un vrai-faux mausolée, marquer symboliquement une tombe imaginaire d’Arthur Rimbaud à Harar. Pas pour affirmer, comme on le fait à Charleville, que son corps repose ici. Mais plutôt pour diffuser l’idée que son âme est là, qu’elle plane au-dessus des collines du désert et des toits de la vieille ville d’Harar et que rien ni personne ne peut arrêter le voyage de Rimbaud aux sources de l’humanité, aux origines de la poésie.

 

Ainsi le voyage à Harar est un pèlerinage en Rimbaldie, où l’on met son corps et son esprit en présence d’un lieu sacré, atemporel et magique, qui nous transcende et nous transforme de l’intérieur. Après avoir vu Harar, le monde, pour moi, a changé. 

 

 

 

Samedi 21 octobre

 

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