Passé

 

La vallée de la Semoy est un corps de forêt légendaire, recroquevillé tout autour d’une mince rivière, une frontière naturelle au temps. On peut encore y entendre des sons des siècles d’avant.

 

Je marche dans la forêt, sur les chemins esseulés parmi les parcelles d’arbres marqués. Je m’enfonce le plus possible dans l’épaisseur boisée.

 

Au bout d’un chemin, j’abonde dans un lieu intrus, inattendu, qui semble surgir d’un mauvais film d’horreur. C’est un village de vacance fantôme abandonné d’une quarantaine de maisons bungalow délabrées. On a l’impression qu’il y a eu ici un tremblement de terre, ou bien une guerre, une invasion barbare, quelque chose de violent et soudain qui a poussé les vacanciers à fuir, en laissant tout sur place. Le lieu est morbide. Toutes ces maisons dévastées, perdues en pleine forêt, un âge d’or en état de décomposition. Qui a fait cela ? Qui a fui cela ? Pourquoi tout est resté dans cet état là ? Mes questions ne trouvent de réponse que dans les toitures effondrées, les carreaux cassés, les charpentes démontées, les murs écroulés, les balcons bringuebalant, la végétation là-dedans qui reprend ses droits, les tags, les détritus, les planques sordides aménagées par on ne sait quel braconnier ou junky des bois, les entrées noires… Je commence à sentir toute la douleur de ce lieu… Impression de décadence, de déchéance, vision d’un post-monde possible. Basculement dans un après inimaginable.

 

Je passe mon chemin. Le cours du ruisseau dans les bois mène tout droit à un plateau naturel. Là se trouvait avant un lac. Maintenant, il n’y a plus qu’un bassin de terre. Le lac est asséché. Tout autour, de vieilles aires de pique nique, des jeux pour enfants décrépis, une étendue de sable et de gravillons, rappellent qu’à cet endroit, des familles avaient dû se réjouir, et des amoureux s'embrasser. A l’orée de la forêt qui borde l’ancien lac, se trouve le départ d’un parcours de santé. Le sentier et ses installations chancelantes sont recouverts par les ronces et la végétation. Depuis quand personne n’a plus foulé ces espaces là ?

 

Ces endroits abandonnés, oubliés, comme si on les avait souillés ou vidés de leur propre substance, et qui portent encore les traces de leur vie passée, sont-ils des symptômes ou bien des conséquences ? Comment peut-on guérir d’un tel abandon, de tant d’oubli ? Est-on obligé de toujours voguer d’un faux eden à l’autre, tels des nomades sur nos propres terres ? Doit-on oublier, abandonner les lieux de nos joies passées ? Accepter que les lacs se tarissent ? Que les chemins s’obstruent ? Que les maisons s’écroulent ? Doit-on accepter ce grand gâchis, comme des plaies dans notre chair, comme des zones sacrifiées en nous-mêmes ?

 

Dans quel état se trouve notre passé ? 

 

 


 

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