Au moment de la dernière grande inspiration, il est à deux doigts de se lâcher, lorsqu'il entend au loin un grondement, un hurlement d’acier qui déchire le silence du vent. En un infime instant, il change de décision, il repousse le grand saut. Il trébuche sur le ciment du pont, mais se rattrape in extremis, le sang glacé.

Qu'était-ce? On aurait dit un cri du ciel. Il relève la tête et voit surgir de la brume du fleuve une ombre vague, flottante. Après un moment, il distingue un bateau: une péniche. Il lui semble qu’elle lui sourit. Il l’observe de ses yeux embués, se concentre sur la proue du bateau et cet étrange sourire qui en surgit. Est-il possible qu’il n’ait jamais remarqué que les proues des péniches étaient en forme de sourire ?

Est-il possible que depuis des mois, il n'ait vu aucun bateau passer sur ce bras mort du fleuve, et qu’au moment précis où il décide de mourir en se jetant dedans, cet intrus l'en empêche ? Voyant le vaisseau s’approcher lentement, il comprend que ce n’est pas une hallucination, mais un signe moqueur du destin, le cynisme manifeste de la vie.

La péniche est presque aux abords de l’enfant suspendu au-dessus du vide. Un homme sur le pont du bateau agite les bras et crie en sa direction. Sa voix passe au-dessus du bruit du moteur: eh ! oh ! viens ! En s’engouffrant sous le pont, la péniche vrombit comme un monstre marin, et se tord pour aborder.

Alors l'enfant, sans plus penser, se remet en équilibre sur le pont et, après quelques instants pour reprendre souffle et raison, se met en marche, presque machinalement, vers le bateau qui l'appelle.

Sauvetage.

1ère nuit