L'île 3

Un peu plus tard, je revenais à ma voiture, toujours garée sur la Place Jacquard, et des clochards, un couple cette fois-ci, s'activaient eux aussi sur les poubelles de la Caisse de Capitalisation de Lille. Je me dis que ce devaient être des poubelles bien connues de ceux qui vivent de la récup'. Ils en sortirent encore d'autres trésors, des stylos tout neufs et des objets tout emballés qu'ils mettaient dans leurs grandes poches. Je n'arrivais pas bien à tout distinguer. 

 

Entre temps, moi j'avais acheté un ordinateur portable d'une valeur de plus de 1000 €. J'avais économisé depuis quelques mois pour pouvoir l'acheter sans faire crédit. En comparaison à d'autres personnes qui m'entouraient, je me sentais souvent pauvre. Mais on trouve toujours plus pauvre que soi. La richesse est une valeur très relative. Elle se divise à l'infini, des plus opulents aux plus démunis. Et la beauté, plus grande encore que la richesse, est un paradoxe qui se fiche des formules mathématiques de l'addition ou de la multiplication. 

 

La richesse de ces personnes qui font les poubelles, c'est de trouver ce qu'ils ne cherchent pas forcément, et de s'y adapter: aujourd'hui des stylos et des écouteurs tout neufs, demain peut-être un sandwich pour éteindre la faim qui brûle. Qu'est-ce qui a le plus de valeur à leurs yeux?

 

Ma richesse à moi de ce jour là, ce n'était pas l'ordinateur que je tenais à bout de bras et qui m'avait coûté quelques mois d'économies, mais c'était cette vision d'une beauté inattendue, inespérée, cette vision qui m'accompagnerait, sans garantie ni service après-vente, toute ma vie et même au-delà. C'était la beauté de cette vision. 

 

La richesse, ce n'est pas ce qu'on a, ce qu'on possède, mais ce qu'on est, et qui oriente notre regard sur le monde. C'est l'émotion qu'on ressent à la vue d'un jeune garçon qui fait les poubelles. Car la richesse est bien plus qu'un avoir, c'est une manière d'être. Ce jeune enfant, plus beau que les fils à papa qui portent des vêtements de marque, est riche pour moi, riche de sa poésie, riche de sa dextérité, riche de sa diginité à toutes épreuves. Sa valeur est incommensurable, non réductible à une paire de Nike neuves ou à une Mini-Cooper dernier cri. 

 

La vraie richesse, c'est d'être unique. Ceux qui suivent les modes, même les avant-gardes, même les plus chères, sont pauvres en fait, car ils se réduisent à se ressembler, fuyant leur dimension d'exception pour être juste comme les autres, du moins ceux qu'ils ont choisis. Ce faisant, même distingués, ils annulent leur propre trésor: il effacent leur originalité.

 

La richesse, c'est savoir faire quelque chose que les autres ne savent pas ou plus faire. C'est surprendre, contraster, détonner, dépareiller, être un paradoxe vivant, l'air de rien, en s'en foutant complètement. Être riche, c'est savoir créer à partir de ses propres contraintes, savoir être attirant par ses faiblesses, savoir tirer parti du pire, savoir détourner l'horreur en fable. 

 

Être riche, c'est n'avoir besoin de RIEN, rien d'autre que de soi-même, pour être. 

 

 

 

 

>> Rouler

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